Le propriétaire peut-il s’opposer à l’utilisation de l’image de son bien à des fins commerciales ?
Pour répondre à cette question, j'accueille sur le BLIC Joana qui s'est penchée sur une courte analyse juridique et lui laisse donc le clavier...
Nous voilà de retour dans les années 90 : un photographe prend une photo du Café Gondrée, café célèbre situé proche des plages du débarquement et premier bâtiment à avoir été libéré par les Alliés en 1944. Ce dernier commercialise alors le bien sous forme de carte postale. Esclandre ! Le propriétaire du Café s’oppose à cette reproduction photographique, prise sans son accord. Le 10 mars 1999, cette affaire est soumise à la Haute juridiction qui affirme que « l'exploitation du bien sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire ».
Pour rappel, le droit de jouissance (appelé aussi « fructus ») constitue l’un des trois attributs du droit de propriété (avec l’usus, c’est-à-dire le droit d’usage et l’abusus, le droit de disposer). Un rattachement entre l’image des biens et le droit de propriété est donc opéré par la Cour de Cassation. Toutefois, il convient de préciser qu’il ne s’agissait pas dans cette affaire d’interdire l’utilisation de l’image du bien à des fins privées mais bel et bien de réserver au propriétaire seul la décision d’exploiter ou non le bien à des fins commerciales.
Depuis l’affaire du Café Gondrée, la jurisprudence a connu bien des évolutions.
1ère évolution - 2 mai 2001 : La Cour de Cassation se prononce sur une affaire impliquant l’exploitation d’un petit ilot breton à des fins publicitaires par le Comité régional de tourisme de Bretagne. Le propriétaire de l’ilot s’y oppose. La Cour, tout en conservant la solution antérieure ajoute une condition : l’exploitation doit constituer un « trouble certain » au droit d’usage ou de jouissance.
2ème évolution - 5 juin 2003 : Le Figaro publie une photographie d’une résidence au Cap-Ferret, en mentionnant le nom du propriétaire ainsi que sa localisation précise. Le propriétaire assigne alors le Figaro pour atteinte à sa vie privée. La Cour de cassation considère que cette publication porte atteinte au respect dû à la vie privée du propriétaire et affirme haut et fort que le droit de propriété ne comporte pas de « droit à l'image » du bien.
3ème évolution - 7 mai 2004 : Arrive enfin un arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de Cassation, Ô combien attendu. Etait ici en cause la reproduction, dans un dépliant publicitaire, de la façade d’un immeuble historique de Rouen, l’Hôtel de Girancourt, dont l’autorisation n’avait pas été demandée au propriétaire. L’Assemblée plénière considère alors que « le propriétaire d'une chose ne dispose pas d'un droit exclusif sur l’image de celle-ci » et affirme « qu'il peut toutefois s'opposer à l'utilisation de cette image par un tiers lorsqu'elle lui cause un trouble anormal ». Le lien entre le droit à l’image des biens et la propriété est donc officiellement rompu. Ainsi, seule l’existence d’un « trouble anormal » permet au propriétaire de s’opposer à l’exploitation commerciale de l’image de son bien, le trouble anormal étant constitué dès lors qu’il existe une perturbation de la tranquillité et de l’intimité (Civ. 1ère, 5 juillet 2005).
Si le régime juridique lié au droit du propriétaire sur l’image de son café, hôtel, ilot ou encore sur sa résidence est désormais d’une parfaite limpidité… qu’en est-il des animaux ?
Amis des animaux, si vous avez autorisé un photographe professionnel à photographier, à son domicile, votre poisson rouge, votre hamster ou encore votre lama, sachez que vous n’avez pas de droit exclusif sur l’image de votre animal et que vous ne pourrez vous opposer à son exploitation commerciale seulement si celle-ci engendre un trouble anormal ou que certaines conditions du contrat n’ont pas été respectées (CA Orléans, 15 février 2007).
Joana B
Pour aller plus loin sur le droit à l'image, je vous propose de revenir au droit à l'image des personnes avec ces différents Posts...
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